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Mohamed Arkoun : un critique moderne de la raison islamique

Initialement considéré soit comme un penseur islamiste, soit comme un critique trop libéral des traditions musulmanes, Mohamed Arkoun acquiert aujourd’hui la réputation d’être l’un des penseurs modernes les plus importants du monde islamique pour ses travaux sur la raison islamique.

​​Bien qu’il soit l’un des penseurs modernes les plus importants du monde islamique, Mohamed Arkoun a été largement ignoré par le monde arabe. Le monde arabe a en effet, accordé peu d’attention à ce théoricien exceptionnel de la culture islamique contemporaine.

Sans les efforts inlassables et les traductions du savant Hachem Saleh, Mohamed Arkoun serait encore inconnu des élites culturelles non francophones du monde arabe. Pourtant, ses pensées provocatrices rencontrent de la résistance.

L’Encyclopédie d’Oxford décrit Arkoun comme l’un des penseurs islamiques modernes les plus importants.

La critique de la raison islamique par Mohamed Arkoun

L’érudite islamique allemande Ursula Günther a écrit une thèse sur Arkoun. CEtte thèse a été publiée par l’éditeur allemand Ergon sous le titre : Mohammed Arkoun – un critique moderne de la raison islamique.

Pour Ursula Günther, l’importance d’Arkoun réside dans le fait qu’il utilise les découvertes et les méthodes des sciences sociales et humaines modernes dans son analyse de l’islam, exploitant le structuralisme, la sémiotique, l’anthropologie structurale, l’analyse du discours et le post-structuralisme pour développer sa propre théorie de l’islam et la raison islamique.

Un autre facteur crucial, selon Günther, est qu’Arkoun est un résident de longue date de la France. Comblant ainsi le fossé entre l’Orient et l’Occident. En raison de sa familiarité avec les études moyen-orientales et islamiques occidentales d’une part. Et la recherche islamique et la vision islamique de l’Occident d’autre part.

Il est capable de porter un regard critique des deux côtés. Et résister aux perspectives unilatérales qui dominent souvent la recherche et la littérature occidentales et islamiques.

Ainsi, la « critique » peut être considérée comme le nœud de la pensée d’Arkoun. Sa préoccupation centrale – la critique de la raison islamique – transparaît dans toutes ses publications et entretiens. Notamment dans son livre Pour une critique de la raison islamique.

La compassion chrétienne et l’islam des gens ordinaires

Mohamed Arkoun est né en 1928 à Taourit Mimoun dans la Grande Kabylie d’Algérie, fils d’une famille berbère. À l’âge de neuf ans, il s’installe avec son père dans un village près d’Oran habité par des colons français. Ce changement de décor a été un choc pour Arkoun. Il devait maintenant apprendre l’arabe et le français pour communiquer.

Arkoun a été très influencé par son oncle, un ardent adepte de l’islam mystique qui lui a fourni une bonne éducation. Cela explique la compréhension d’Arkoun de l’influence de la religion sur les gens, ainsi que sa connaissance et ses expériences du soufisme et de l’islam des gens ordinaires. Son oncle le familiarise avec les bases de l’Islam et du Coran, tout en l’accompagnant, lui et son père, aux rassemblements religieux qui font partie de la vie quotidienne du village.

Cependant, la situation financière de la famille empêchait Arkoun de poursuivre ses études dans la capitale. De 1941 à 1945, il fréquente une école d’une ville voisine dirigée par des moines. Arkoun décrit cette période comme celle où il a découvert la culture et la littérature latines. Apprenant à connaître les Pères de l’Église, Augustin, Cyprien et Tertullien, et les valeurs chrétiennes. En particulier celle de la compassion.

De 1950 à 1954, il étudie la littérature arabe à Alger. Explorant également le droit, la philosophie, la géographie et surtout la philosophie arabe, dans l’espoir de pouvoir étudier à Paris.

Ce qui distingue Mohamed Arkoun, c’est précisément sa formation sérieuse de médiéviste. Arkoun s’est imposé comme un étudiant de premier plan de la pensée islamique médiévale avec son travail sur le philosophe Miskawayh. Il a édité deux traités de Miskawayh. Et traduit son Tahdhib al-akhldq. Un ouvrage dont la relation étroite avec l’Éthique à Nicomaque d’Aristote oblige quiconque traite du texte arabe à se débattre avec la philosophie grecque.

Un savant moderne

Fort de ce solide bagage philosophique allié aux ressources de la critique française, Arkoun entame sa propre croisade intellectuelle. Ses relectures des riches traditions religieuses et juridiques islamiques prolongent cette double appartenance intellectuelle aux sciences humaines et sociales modernes et aux études médiévales. Arkoun a également beaucoup écrit sur le philosophe et médecin andalou du XIIe siècle Ibn Tufayl.

Les Lectures du Coran d’Arkoun sont peut-être son œuvre la plus difficile et la plus importante. L’auteur plaide avec éloquence et passion pour des distinctions analytiques claires dans le traitement du livre saint musulman. Selon Arkoun, trop de niveaux de production du texte sacré sont amalgamés sous le titre de Coran. 

Il y a la parole de Dieu, dont les révélations des trois religions monothéistes ne sont que des fragments. Il y a aussi le discours coranique, le texte écrit proprement dit du Coran et les commentaires sur ce texte. Ces distinctions permettent une lecture beaucoup plus sophistiquée des écritures.

Les idées de Mohamed ‘Arkoun ne sont pas restées incontestées par les leaders intellectuels du mouvement islamiste contemporain. Un débat passionné eut lieu entre Arkoun et l’Egyptien Shaykh al-Ghazali en Algérie. Presque aussi rapidement que les œuvres d’al-Ghazali deviennent accessibles à un public international, les œuvres d’Arkoun sont rééditées en français et traduites en arabe. 

L’impact d’Arkoun sur la scène intellectuelle arabo-musulmane contemporaine deviendra de plus en plus important à mesure que le mouvement islamiste se renforcera. Arkoun définit le concept islamique de jihad al-nafs (jihad personnel) comme l’œuvre de l’intellectuel qui se sent solidaire de la société à laquelle il appartient. Ce jihad al-nafs est la mission d’Arkoun.

Frantz Fanon et la “troisième voie”

Au milieu des années cinquante, Arkoun s’inscrit à la Sorbonne. En cette période de bouleversements, il se préoccupe, comme beaucoup d’autres de sa génération, des intérêts du tiers monde. Et de la recherche d’une « troisième voie » du développement de la conscience politique dans ces pays, influencés par Frantz Fanon.

Les années suivantes en France sont également difficiles pour Arkoun. Comme d’autres intellectuels musulmans qui avaient adopté les méthodes européennes d’érudition, il n’était pas le bienvenu en Europe. Considéré comme quelqu’un qui rejetait la modernité européenne et était hostile à l’Europe.

Mohamed Arkoun n’était pas non plus le bienvenu dans son pays natal, où il était considéré comme un représentant de l’Occident impérialiste et de sa culture et de ses méthodes européennes, de ses publications libérales et hostiles.

En 1971, Arkoun devient professeur d’« histoire intellectuelle islamique » à la Sorbonne ; à partir de 1993, il a été professeur invité dans de nombreuses universités et instituts de recherche, en particulier à l'”Institute of Ismaili Studies” de Londres. En 1999, il fonde “l’Institut d’Études des Sociétés Musulmanes” à Paris, un projet dans lequel il s’est engagé depuis 1970.

La critique de de la pensée rigide par Mohamed Arkoun

Selon Arkoun, le développement de la pensée islamique depuis le XIIIe siècle a conduit à une inflation du nombre de choses auxquelles il est impossible de penser. Il en résulte aujourd’hui une pensée rigide et des convictions intransigeantes qui appellent la critique.

Dans son ouvrage, Pour une critique de la raison islamique, Arkoun tente d’apporter une nouvelle perspective à la légitimation de l’islam en réinterprétant lui-même les sources. Ce faisant, il remonte aux racines de la religion et de la loi islamique. Dont les stipulations concernant l’analyse, l’interprétation, la recherche et la déduction ont été considérées comme infaillibles et inviolables à ce jour. Malgré l’évolution des circonstances historiques et sociales.

Mohamed Arkoun ne nie pas ces lois. Mais aspire plutôt à une interprétation moderne, qu’il considère comme urgente pour deux raisons. D’une part, pour pallier le vide de leadership et de légitimité des nations fondées après les indépendances. D’autre part, lutter contre la croissance démographique qui, selon Arkoun, s’accompagne de romantisme politique et de lois favorisant le chômage, la frustration, la pauvreté et l’émergence de groupes sociaux marginalisés.

Impuissance intellectuelle, pensée stéréotypée

Selon Arkoun, dans cette situation, les gens se replient sur leur héritage culturel, leur religion et leur tradition. Ils sont encouragés par des érudits musulmans qui ne se lassent pas d’invoquer “l’âge d’or” de l’islam. Mais évitent d’affronter le temps du “déclin” qui a précédé l’ère moderne. .

En réalité, soutient Arkoun, pendant des siècles, la raison islamique a été dominée par l’impuissance intellectuelle, la pensée stéréotypée et la paresse, conduisant finalement à l’abolition de toute possibilité de critique.

Avec sa critique de la raison islamique, Mohamed Arkoun poursuit l’objectif de confronter courageusement et sans compromis l’islam avec toutes ses compréhensions, légendes, slogans et visions erronées, mais sans être condescendant. Cette analyse pourrait créer une synthèse permettant une pensée alternative qui s’opposerait au courant de pensée islamique antérieur.

Bibliographie de Mohamed Arkoun

  • Arkoun, Mohammed. Lectures du Coran. 2e éd. Tunis, 1991. Ouvrage essentiel qui rassemble diverses études allant de lectures attentives de sourates coraniques à un essai sur l’islam et la politique. 
  • Ouvertures sur l’Islam. Paris, 1989. Fascinant essai sur l’Islam et la pensée islamique; essentiel pour comprendre le système interprétatif d’Arkoun.

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